lundi 25 janvier 2010

« Formons des socialistes »

En 1890 le socialiste anglophone, William Morris, écrivit :
Aujourd'hui les gens sont mécontents, ils conçoivent l'espoir d'améliorer leurs conditions de travail, et pourtant les moyens d'atteindre ce but restent incertains, ou plutôt on confond le commencement de l'emploi de ces moyens et la fin elle-même ; et c'est justement parce que les gens s'enthousiasment pour un socialisme dont ils ignorent souvent a peu près tout qu'il faut mettre en avant ses principes élémentaires, sans aucun souci de politique à court terme.

Les lecteurs saisiront mieux mon propos si j'ajoute que je m'adresse à ceux qui sont réellement socialistes, aux communistes donc. Pour nous, maintenant, la tâche essentielle est de former des socialistes, et je ne crois pas que nous puissions mener d'activité plus utile aujourd'hui. Ceux qui ne sont pas de vrais socialistes — les syndicalistes, les fauteurs de troubles, que sais-je — feront ce qu'ils sont contraints de faire et nous n'y pouvons rien. Quelque chose de bon se dégagera peut-être de leur action, mais nous n'avons nul besoin de travailler de concert avec eux — d'ailleurs nous ne pourrions le faire de gaieté de coeur — puisque nous savons que leurs méthodes ne mènent pas dans la bonne direction.

Nous devons, je le répète, former des socialistes, c'est à dire convaincre les gens que le socialisme est bénéfique et qu'il est réalisable. Lorsque nous aurons réuni assez d'individus autour de cette conviction, ils découvriront d'eux-mêmes le type d'action nécessaire pour pratiquer leurs idées. Tant qu'aucune prise de conscience massive n'existe, l'action en vue d'un changement total qui profiterait à toute la population est impossible. En sommes-nous là, en approchons-nous ? Certainement pas. Si nous nous éloignions de cette atmosphère ensorceleuse qui émane du combat militant, nous verrions clairement ceci : aussi nombreux soient ceux qui croient possible de contraindre par quelque moyen les maîtres à mieux se comporter vis-à-vis d'eux et qui sont impatients de les y forcer (par des moyens prétendument pacifiques, par des grèves et par d’autres actions de ce genre), aucun d'entre eux, excepté une toute petite minorité, n'est prêt à se passer de maîtres. Ils ne se sentent pas capables de prendre leurs affaires en main et de devenir responsables de leurs vies dans ce monde. Lorsqu'ils y seront prêts, le socialisme sera alors réalisé mais sinon rien ne peut raccourcir ce délai, ne serait-ce que d'un jour.

Formons par conséquent des socialistes. Nous ne pourrons rien faire de plus utile, et propager sans cesse nos idées n'est pas un moyen dépassé. Au contraire, pour ceux qui comme moi ne croient pas au socialisme d'Etat, c'est le seul moyen rationnel d'arriver à un nouvel ordre des choses.

— « Où en sommes-nous ? ». Commonweal, 15 novembre 1890, traduction dans L’Age de l’Ersatz, Paris, 1996.


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